Les biotechnologies sont amenées à toucher de plus en plus de domaines industriels mais il faut pour cela une acceptation sociétale afin de permettre un développement économique soutenable. C’est dans cette optique que j’ai suivi les interventions organisées par Paul Colanna dans le cadre de la chaire développement durable environnement, énergie et société instituée par le collège de france. Plus particulièrement le séminaire intitulé “les biotechnologies vertes et blanches” a attiré mon attention alors qu’on associe trop souvent les biotechnologies au domaine de la santé. Néanmoins comme le souligne le sous-titre “enjeux environnementaux et défis technologiques” les biotechnologies sont encore en formation pour répondre à des problématiques liées à l’environnement. Dans le domaine de la santé l’objet des biotechnologies parait bien plus structuré et mature comme j’ai pu m’en rendre compte lors d’une conférence commentée dans mon dernier article. Ces discussions permettent d’y voir plus clair sur les perspectives qu’apportent les biotechnologies et sur les controverses de la biologie de synthèse qui se développe dans la continuité des biotechnologies.
Dialogue Science ET Industrie
Pour commencer il faut se demander ce qui pousserait les industriels à se rapprocher de la recherche publique, en particulier en faveur d’un développement durable dans le cadre de cette chaire. C’est la problématique que Bruno Latour aborde en introduisant son dernier ouvrage en cours de rédaction par la question ” avoir à nouveau confiance dans les institutions ? “, pour ce faire il décrit les éléments d’un dialogue entre un scientifique et des industriels:
Ils sont assis autour d’une table circulaire, une quinzaine d’industriels français, responsables du développement durable dans différentes sociétés. En face d’eux, un chercheur du Collège de France, spécialiste des questions de climat. Nous sommes à l’automne 2010 alors que fait rage la querelle sur l’origine humaine ou non du bouleversement climatique. L’un des industriels pose au professeur une question que je trouve quelque peu désinvolte : « Mais pourquoi faudrait-il vous croire, vous plus que les autres ? […] il répond dans un long soupir : « Si l’on n’a pas confiance dans l’institution scientifique, c’est très grave ». Et de se mettre à déployer devant son auditoire le grand nombre de chercheurs impliqués dans l’analyse du climat, le système complexe de vérification des données, des articles et des rapports, le principe du jugement par les pairs, l’immense réseau des stations, des bouées dérivantes, des satellites, des ordinateurs qui assurent le flux des informations —puis il se met à expliquer, debout au tableau, les pièges des modèles nécessaires à la rectification des données ainsi que les doutes successifs qu’il a fallu lever sur chacun de ces points.
Avant de commenter:
Puisque la Certitude est accaparée par ses ennemis et que le public se met à poser des questions impolies ; puisqu’il y a grand risque qu’on confonde la science avec l’opinion, il s’est rabattu sur ce qui semblait à portée de main : la confiance dans une institution qu’il pratique de l’intérieur depuis vingt ans et dont il n’a, en fin de compte, aucune raison de douter.
Et si Total s’est associé à cette chaire c’est qu’il n’y plus de raison de douter. Moins naïvement et plus simplement on peut dire que la firme prépare l’avenir de l’industrie pétrochimique en prévoyant que la biologie de synthèse représente des opportunités industrielles tout en communicant sur son engagement pour le développement durable. Cette association participe au développement de Total, en co-développement avec une société californienne, de ces nouvelles techniques afin d’innover en créant de nouveaux marchés alors que les experts scientifiques auront la possibilité de contrôler et tester l’ensemble de ces nouvelles techniques en les développant conjointement afin de répondre aux enjeux environnementaux. D’ailleurs l’évolution du domaine des biotechnologies, précipité par l’émergence de la biologie de synthèse qui est encore en formation, est structuré grâce aux experts scientifiques travaillant dans les laboratoires publiques d’excellence qui étaient venus présenter l’état de la technique relative aux biotechnologies.
On peut dès lors parler des activités de Paul Colonna, cet expert dans le domaine de la chimie verte est le directeur de l’Institut Carnot Bioénergies, Biomolécules et Biomatériaux du Carbone Renouvelable porté par l’INRA dont il est le délégué scientifique développement durable. Ces instituts Carnot ont pour objectif de faciliter la recherche partenariale à l’initiative des organismes de la recherche publique pour se rapprocher du monde économique des industriels, ainsi le réseau Carnot a institué une charte des bonnes pratiques de Propriété Intellectuelle, et de Transfert de Connaissances et de Technologies. Il est nécessaire que ce rapprochement entre le milieu industriel et le monde scientifique se fasse de manière cadrée afin de privilégier toute transparence, ceci dans le but de dévoiler la proximité d’intérêt des deux sphères afin d’éviter tout conflit d’intérêts. En effet les scientifiques garantissent la vérité des faits en confrontant leurs analyses entre experts, mais ils ont également un rôle de consultant auprès des industriels pour porter ces analyses à l’épreuve des applications technologiques qui peuvent répondre à des enjeux environnementaux.
Dialogue science EN société
Le dialogue science ET industrie permet de fixer le cadre pour développer la biologie de synthèse dans le but de répondre à des enjeux environnementaux (ou de santé). Ceci est un début de réponse aux questions que pose régulièrement Dorothée Benoit Browaeys (VivAgora) de type “pour quoi faire ?” ou “ça sert à quoi ?“, en effet elle porte un regard très critique sur la biologie de synthèse. D’ailleurs VivAgora fait parti des signataires du moratoire en faveur d’une surveillance de précaution de la biologie de synthèse à l’initiative des amis de la terre établissant comme premier principe le principe de précaution. Il s’agit maintenant de dépasser les positions de chacun du dialogue science ET société auxquels on a pu assister à l’initiative de VivAgora afin de construire un dialogue dépassant les clivages en associant les possibilités offertent par la technologie avec les attentes sociétales. Ce dialogue implique une multitude d’acteurs allant des journalistes aux scientifiques, lors du séminaire au collège de France la session intitulée “La recherche publique apporte-elle les connaissances suffisantes dans le domaine des biotechnologies pour éclairer les choix des citoyens et les décisions des politiques ?” apportait les éléments de ce dialogue. Ce dernier s’est construit sur l’opposition entre l’affect exprimé par les opinions du grand public qui sont animés passionnément par les journalistes et l’appel à la raison d’un scientifique qui argumentait en faveur d’une éducation de la biologie moderne permettant aux futurs citoyens de juger les biotechnologies de manière rationelle. Au dela de ce clivage les deux parties font figure de médiation de ces controverses en apportant des questionnements sur les enjeux éthiques qu’apportent les biotechnologies.
Deux autres médiateurs intervenaient également dans le débat. Le directeur de communication de l’INRA anima le débat pour le mener sur le thème de la confiance en la science jugeant que cette confiance est “pétrie d’angoisse”. Il indiquait qu’une certaine défiance en la science peut tourner à la peur du complot notamment dans le cas des OGM, sur cette controverse particulière il citait la présentation de Pierre-Benoit Joly qui permet de définir le cadre des controverses sociétales. Lors de la table ronde ce dernier précisait que selon une enquête statistique les citoyens ont bien plus confiance en la science qu’envers les politiciens avant d’exemplifier la défiance des citoyens en disant qu’il s’est fait nommé de sociologue mercenaire lorsqu’il a réalisé une étude sur les nanotechnologies. On retiendra qu’il est préférable de parler d’un dialogue science EN société qui a pour but d’instaurer les bases d’une interaction constructive entre la communauté scientifique et le grand public. C’est ce que développe une étude de l’IFRIS (Institut Francilien recherche innovation société) qu’il dirige dans le cas de la biologie de synthèse à la demande du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. La Stratégie Nationale de Recherche et d’Innovation est citée pour représenter l’approche française:
Cette nouvelle donne impose de créer un environnement propice pour assurer les conditions de la confiance : associer les parties prenantes à la définition des stratégies de recherche et de programmation nationale ou locale ; garantir la transparence ; développer les réflexions sur la déontologie et les questions d’éthique ; conforter la pratique de l’expertise publique ; développer le goût pour les sciences et la culture scientifique, dès l’école et tout au long de la vie ; faciliter les débats sur les controverses concernant la science ou la technologie ; stimuler la recherche sur les relations sciences-sociétés.
Ceci permet de réfléchir de manière collective aux perspectives que l’on souhaite donner aux opportunités offertes par la biologie de synthèse en intégrant progressivement ces nouvelles pratiques dans un cadre institutionnel commun. Plusieurs parties prenantes participent à l’élaboration de ce cadre parmi lesquels on trouve de nombreuses associations qui permettent de formaliser différentes positions. Néanmoins pour faire avancer le débat ces positions ne devront pas rester statiques mais médiatrices afin de permettre le changement vers des projets collectifs en faveur de l’environnement et de la santé.